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MAIS IL N'AVAIT RIEN TENTE

Publié le par Bob

MAIS IL N'AVAIT RIEN TENTE

Je frappais trois petits coups de mon index sur la porte d'entrée en bois de merisier. Après de longues secondes elle s'ouvrit lentement. Le visage de Penny portait les stigmates du flot lacrymal – elle adore cette expression. Ces cheveux étaient ébouriffés et elle semblait submergée par une profonde mélancolie. Elle s'écarta et je fis quelque pas pour pénétrer dans le salon. Sur sa table basse en verre dépoli était posé un livre. Je le pris. « Je te le prête si tu veux Bob mais je tiens absolument à ce que tu me le ramènes une fois terminé. »

Gus, ours mal léché, tente de narguer la rudesse des lieux. Il crèche seul dans un hameau paumé dans les Cévennes et partage ses journées avec son chien Mars. Son plus proche voisin Abel est à quelques portées de tir de plombs de chevrotines de sa ferme. L'Abbé Pierre est mort, ça lui met le moral à zéro. Il ne sait lui-même pas pourquoi. Alors, il va chasser la grive. Il neige à gros flocons. La campagne est vierge. Sauf chez Abel où Gus découvre qu'elle est souillée de sang.

Les romans à terroir (et non pas à tiroirs) sont de plus en plus demandés par des lecteurs en quête d'identité, de nostalgie, d'évasion de notre société tourmentée. « Grossir le ciel » n'est pas de ceux-là même si Franck Bouysse met en avant cette contrée austère et ses hommes tout aussi rigides. Ils sont dos à dos et main dans la main. Mais l'une peut aussi être docile et offrir ce qu'elle a de plus salutaire et les autres s'appliquent à l'entretenir avec soin comme la tendre moitié qu'ils n'ont pas. Une terre et des péquenauds. Des péquenauds pour ces gens de la ville éloignés de leurs racines et qui massent leurs blêmes embonpoints dans les relents de CO². Gus et Abel sont des pécores avec cette fierté innocente qu'ils trimbalent au milieu de leurs bêtes et les jambes bien campés dans leurs bottes salopées. Ils vivent en vase clos et s'en contentent. Doivent s'en contenter. Une mission ? Celle de se suffire à soi-même en hommes libres. La solitude est-elle un frein à la liberté ? Épictète que oui (comprenne qui peut)...

Ainsi dans cette histoire douloureuse, c'est un homme qui doit supporter le poids d'un lourd passé. Gus le traîne comme on pousse une brouette de fumier dans des ornières. « Il lui aurait suffi de pousser une botte de paille, de grimper dessus et de soulever sa mère par les jambes. … . Mais il n'avait rien tenté. » Des événements extérieurs vont perturber cette instable et illusoire équilibre.

Roman d'une rare noblesse, « Grossir le ciel » brille par son humanisme et la justesse de la langue de son auteur. Franck Bouysse (que je découvre) sait agiter la conscience du lecteur en se contentant du nécessaire avec cette vigueur tranquille des trop rares auteurs qui forcent notre admiration. Percevoir cette petite musique qui serpente comme un souffle, le tic tac du temps qui s’égrène. Une ode à la vie. La Nature et un homme.

Mention : Des pécores je suis issu alors lâche-moi la grappe.

« Grossir le ciel », Roman policier, La Manufacture de Livres, Parution : 2 octobre 2014 , 208 pages.

Franck Bouysse vit à Limoges. Il aime marcher dans les villes, s’arrêter dans un bar, écrire en écoutant Antony and the Johnsons, Billie Holiday et fumer d’immondes cigares italiens. Il publie un roman noir (L’Entomologiste), puis ensuite sa trilogie H. (Le Mystère H., Londres ou les ruelles sans étoiles et La Huitième lettre). Il réalise également les dossiers introductifs de l’intégrale BD de Théodore Poussin (par Frank Le Gall) et participe ça et là à divers projets collectifs.

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