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L'INSOUTENABLE FRAGILITE DE L'ETRE - LE ROI DU K.O. - HARRY CREWS

Publié le par Bob

L'INSOUTENABLE FRAGILITE DE L'ETRE - LE ROI DU K.O. - HARRY CREWS

Introduction* : « Promener une huître comme on promène son chien, que voilà une expérience enrichissante.. ! À qui allez-vous faire gober cela ? »

La Nouvelle-Orléans. Il a failli raccrocher les gants, comme l'a fait son pote Pete, après sa défaite contre ce dernier. Eugene sort de la cambrousse de l’État de Géorgie et son coach le lâche... lâchement. C'est Charity, sa fiancée pleine aux as, qui va lancer sa nouvelle carrière. Il assure un spectacle étonnant et très prisé des cercles privés de bourges qui organisent des sauteries vraiment spéciales que l'on pourrait baptiser de « SOIREES HOT, DOG ET KO ! » Mais si Eugene gagne bien sa vie avec ses combats en solitaire, il en éprouve néanmoins des remords.

Ce roman entre dans le cadre de mes lectures spéciales balnéaires. Spéciales parce que ce sont des auteurs et des œuvres indispensables que je ne prends pas le temps de lire le reste de l'année. Balnéaires parce que... balnéaires.

Harry Crews ! Épaté, conquis, j'avais quitté Enigma, le patelin du Chanteur de gospel, avec l'ambition de grignoter mon retard afin de poursuivre la lecture de son œuvre. Explorer son univers ressemble à un long pèlerinage dans les entrailles d'une société - et par là-même d'un échantillon de ses citoyens - dont il fouille à mains nues les moindres sombres craquelures - qu'il a parfois personnellement expérimentés. Avec Le Roi du K.O., il va trouver sa matière dans ce jeune boxeur sans avenir qui n'a pour seule échappatoire que ses démentes performances. Eugene est beau mais il a son talon d'Achille : un menton de verre. Ainsi, il va s'expédier au tapis devant cette faune affamée et prête à communier avec lui, public jamais rassasié d'expériences extrêmes. Mais Eugene ne se laisse pas emporté par ce tourbillon, par cette foule qui rugit, il reste malgré tout lucide et garde en mémoire les empreintes crottées de son passé – les lettres de son père en sont des témoignages poignant. C'est du côté de Charity, riche étudiante en psy avec laquelle Eugene a passé un contrat moral et un peu tordu, que cela va sentir le roussi. Alors qu'il préserve son amitié avec Pete qui galère et vivote en passant des films pornos, les deux boxeurs losers vont accepter l'offre de l'Huitre pour peut-être trouver leur voie dans le pugilat. Une vie plus noble dans le noble art ?

Décidément. Oui, décidément, Harry Crews a cette faculté de nous décocher des œillades foudroyantes - qui ferait fondre la banquise déjà secouée par les galipettes des ours polaires en rut – et nous lui retournons nos regards entendus. Vision unique, ni froide, ni cynique où il applique son onguent et pratique des saignées. Il sonde l'âme vierge et rustique de ce personnage ambigu qu'est Eugene qui ne semble pas être spoliée par le désordre d'une communauté en quête de sensations fortes et incarnée par les spectateurs de ces cérémonies, ces rituels sacrés où l'autel est remplacé par le ring. Il parvient étonnamment à se détacher de cet environnement qui pourrait lui nuire et prend part à ces célébrations avec un étonnant détachement. S'il ne montre aucune émotion envers autrui, son acte ressemble à une énième punition qu'il s'afflige alors qu'il n'a connu que des échecs. Pour encore mieux cerner le jeune homme il faut noter l'attachement latent à son milieu d'origine et le mensonge qu'il perpétue dans les courriers à sa famille et dont il ne peut se défaire malgré sa franchise naturelle. Quand enfin Eugene cesse de se mentir à lui-même, c'est le vide qu'il va devoir affronter. La fuite est son dernier recours.

« Il avait été amené - il s'était autorisé à se laisser amener – à regarder l'horreur en face. Et maintenant qu'il était passé de l'autre côté, il n'y avait rien, un néant banal, glacé, sans relief. Il se sentit à jamais nettoyé, par le feu, de tout sentiment. »

Le parcours initiatique de Eugene met en évidence son désordre psychologique et son inaptitude à affronter la vie. La frêle naïveté de l'être est mise à mal. C'est une mise à nu où l'auteur parvient, avec une maîtrise et un talent admirables, à tricoter un roman très noir. Glauque et pénétrant, tendre et déchirant, Le Roi du K.O est un pur bonheur de lecture et une rare expérience.

Il faut lire Harry Crews !

Mention : Crews sera dans mes lectures spéciales hivernales...

*Penny est mon assistante et amie. Elle intervient en introduction de mes chroniques.

« Le Roi du K.O. », (Gallimard, 1999), Editions Folio, Collection Folio Policier, Trad. de l'anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, parution 05/07/2007, 400 pages.

Né en juin 1935 en Géorgie, Harry Crews perd son père à l’âge de deux ans. Il est élevé à la dure dans une ferme par un beau-père alcoolique et violent qui fera de sa petite enfance un enfer raconté dans son autobiographie Des mules et des hommes. A dix-sept ans, Harry Crews s’engage dans les Marines et fait la guerre de Corée. Il commence à dévorer tous les ouvrages qui lui tombent sous la main, reprend des études, puis plaque tout pour faire la route en moto. Il fait de la prison, se fait tabasser par un Indien unijambiste, partage un temps la vie des freaks et croise des destins hors du commun qui peupleront ensuite ses romans. De retour en Floride, il abandonne femme et enfant pour se retirer dans une cabane au bord d’un lac. C’est dans ce décor d’ascète, stimulé par la came et l’alcool, qu’il débute comme écrivain. Harry Crews est mort en mars 2012.

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