MAMAN ?
Introduction : « Ah, cette immensité crayeuse avec toute cette neige qui crée une harmonie délirante ! C'est beau ! » Alors que je levais les yeux vers la Dent d'Orlu qui avait profité d'un bon blanchiment au bicarbonate de soude, je postillonnais « Moi, j'ai les arpions engourdis et je te prie de croire que les personnages de mon bouquin ils en bouffent de l'im-men-si-té cray-euse... » A ces mots, Penny sortit du spa bouillonnant et parfumé avec vue sur les monts et se retira dans le hammam.
Fin du 19ème siècle. Un silence pesant. Une masse sombre dans une étendue neigeuse et une minuscule silhouette qui avance vers elle. C'est Elspeth. Ce qu'elle va découvrir est effroyable. La vie a abandonné sa ferme. Le père et ses quatre enfants ont été assassinés par trois hommes au foulard rouge. Ne reste debout que Caleb, son gamin de douze ans. Désormais il n'ont pas d'autre choix que de s'en éloigner. Pour retrouver ceux qui ont brisé leur famille. Watersbridge sera leur port d'attache au bord d'un lac Érié figé par les glaces.
Bien sûr il y a cette nature sauvage qui fait plier les créatures qui tentent d'y survivre mais ce sont surtout les destinées d'une mère torturée car coupable d'actes immoraux et de son jeune fils anéanti par la culpabilité et armé d'un fusil de chasse qui vont enfin apprendre à se connaître en tentant de se libérer de leur pesant fardeau. Avant leur périple, qui les conduira jusqu'à cette ville où planent encore de douloureux souvenirs, Elspeth quittait pour plusieurs mois son foyer pour exercer son métier de sage-femme alors que Caleb se réfugiait en permanence dans la grange au milieu des bêtes. Était-ce le Péché et la Vertu que le père, un tantinet fondamentaliste, psalmodiait à longueur de journée ? Si la vengeance est le ressort de cette histoire, on comprend assez vite qu'un obscur secret est au cœur de leur effroi. Et ce sont les soubresauts de cette lutte contre le Mal et pour la Vérité que l'auteur nous dévoile en mettant les deux infortunés dans des situations très délicates. Elspeth et Caleb se voient confrontés à des personnages troublants, singuliers et brutaux, l'une pour assurer la pitance et l'autre à la recherche d'indices. Sur ces terres inhospitalières, les colons vont au bordel, se saoulent et triment comme des bêtes. Parfois l'un des pontes du coin se débarrasse de l'un d'entre eux s'il devient trop gênant. Pan !
L'auteur a su créer une atmosphère écrasante où règnent un profond désespoir et un sentiment de solitude qui imprègnent les personnages. Mais l'espoir demeure lorsque apparaissent quelques âmes bienveillantes. James Scott pour son premier roman cimente son récit par la force d'une âpre épopée avec une écriture habile et sans démonstration mêlant un charmant lyrisme aux assauts de frayeur et de douceur. Le lecteur assidu va probablement se pencher sur quelques légères divagations qui ont ébouriffé votre serviteur mais à chercher la petite la bête on ne trouve que l'insignifiance. Le lecteur enflammé chavirera sous les frimas. « Retour à Watersbridge » aborde le thème des relations et de l'amour filiaux avec subtilité et sans compassion dans un cadre et une époque vacillants . C'est corrosif et pas si blanc comme neige.
Mention : Je suis d'accord avec l'ami Garoupe quand il précisait que les couv' du Seuil sont terriblement attirantes.
« Retour à Watersbridge », Éditions du Seuil, Collection Seuil Policiers, traduit par Isabelle Maillet , 05-02-2015 , 400 pages.
Diplômé de Middlebury College, James Scott, 35 ans, a publié des nouvelles dans American Short Fiction et One Story. Il a été nominé pour le Pushcart Prize et a reçu des bourses d'écriture de plusieurs institutions prestigieuses. il collabore au magazine de musique Under the Radar et vit à Boston, où il enseigne au renommé centre littéraire de Grub Street.