ECORCES VIVES - ALEXANDRE LENOT - ACTES SUD

« Il était venu dans le Nord du Cantal, sur ces terres que tout le monde s’évertuait à fuir depuis au moins trois ou quatre générations, et il était aussi seul qu’il avait souhaité l’être, enfoui au bout de la vallée, pris entre des massifs noirs qui ne laissaient pas passer grand-chose. Seul avec ses épaules voûtées, sa barbe blanchissante, à l’heure de poser sa hache, de s’asseoir enfin. Seul accroupi dans la terre humide et les odeurs d’humus. Seul avec tout ce qu’il portait : la mémoire de ses combats, les douleurs de ses défaites, les cicatrices de leurs rêves. »
Ce nouveau venu dans le milieu du polar a choisi de situer son roman noir dans une province rurale qui dépérit où les taiseux ne parlent qu’aux taiseux, mais pas toujours. Avec ce gars qui erre puis qui est hébergé par Louise après avoir incendié son ancienne ferme les autochtones sont sur le qui-vive - la fragilité des relations se nourrit des rancoeurs. Eli et les autres, les quelques étrangers qui tentent de redonner de la couleur à cette communauté blafarde se sentent menacés. Le venin est injecté qui, inéluctablement, fait vaciller cette communauté divisée dans une zone de turbulence qui prédit le pire.
« Elle entend le murmure du pays, tout près d’elle. Des questions ressassées des centaines de fois, au creux des jours et au soir avant de s’endormir, par ces hommes fatigués et brutaux, avides et peinés, qui sentent leur vieux monde s’embrumer peu à peu, parcouru par les vents et la mort, raviné par les pluies, isolé par des contreforts noirs, des routes trop peu nombreuses et trop difficiles à entretenir, des voies ferrées déficitaires et sans cesse menacées par des comptables dont les visages ignorent tout des morsures du vent. Un vieux monde qui leur a été légué mais que leurs doigts gourds et tordus n’arrivent plus à retenir. »
Le récit est porté par un style poétique qui surprend agréablement. Alexandre Lenot s’empare de ce territoire sauvage, se saisit de ses personnages avec une plume assurée qui ne fléchit jamais. Emporté par son onde le désastre annoncé vire au noir. Ce féroce duel révèle, sans distinction, toutes les blessures qui éclaboussent la glaise vierge, tous les espoirs envolés dans ce ciel pur, toutes les haines qui reposent désormais dans les sous-bois endormis. Un premier roman noir, rural, qui laisse augurer le meilleur pour l’avenir littéraire de son auteur.
Ecorces vives, Alexandre Lenot, éditions Actes Sud/Noir, parution : octobre 2018, 208 pages.