POUR SERVICES RENDUS - IAIN LEVISON - LIANA LEVI

Une histoire à hauteur d’hommes (en guerre) comme l’auteur sait les concocter. Dans son tableau les étoiles US perdent encore un peu plus de leurs soi-disant éternelles clartés.
Le sergent Fremantle fait partie des 3 millions 500 000 jeunes américains qui ont combattu au Vietnam - il aura plus de chance que les 58 209 autres soldats qui vont y laisser leur peau.1969. Fremantle est chef d’un régiment et va devoir gérer la fâcheuse bourde d’une jeune recrue. Il va couvrir ce Billy Drake qui ne semble pas aussi naïf qu’il y paraît. Un peu plus tard des supposés Vietcongs sont zigouillés mais il s’agissait de paysans qui vaquaient dans leur rizière. C’est en 2016 que l’on retrouve Fremantle, désormais responsable d’un poste de police dans le Michigan, qui est approché par un prétendant aux sénatoriales. Ce n’est autre que le fameux Drake qui parvient à l’embaucher. Dans ses discours celui-ci met en avant son « expérience vietnamienne » en ciblant le public concerné mais le retour de manivelle va lui faire mal aux gencives - une énorme claque. A la guerre comme à la guerre.
Si La guerre est une ruse comme l’exprime si bien Frédéric Paulin dans son dernier roman, la politique politicienne semble utiliser les mêmes armes pour parvenir à ses fins. Mais à trop vouloir endormir le troupeau moutonnier - considéré comme tel - le pâtre en marche peut négligemment oublier qu’il y a toujours un loup dans la bergerie. Enrôlé par l’opposition, un ancien membre du régiment de Fremantle va s’exprimer sur les déclarations tonitruantes de Drake. Il a une version moins reluisante. C’est la panique dans le QG. Fremantle, qui regrette désormais son engagement aux côtés de Drake, va se retrouver en première ligne. La guerre est déclarée. Le combat sera féroce.
Dans cette mêlée grotesque, les deux personnages principaux, au tempérament si différent, vont devoir jouer carte sur table alors que le passé virevolte sur leurs têtes comme un famélique vautour. Drake va étaler toute son avidité et son art du stratagème tandis que Freemantle sera envahi par une vague d’incertitude. Ce dernier, qui a connu la rigueur militaire et l’engagement pour la patrie et qui traîne ses guêtres dans son poste de police, ne cesse de ressasser les événements qui ont marqué son périple au Vietnam. L’auteur parvient à extirper les sentiments de chacun et c’est une valse noire qui, une-deux-trois, qui permet de remonter le temps et de fracasser le présent.
De ces vétérans nous connaissons le fracas de l’après. Dans Pour services rendus Iain Levison adopte une autre mise en situation. Et celle-ci est aussi imprévue que fertile pour déballer les ruptures et pour nous offrir des portraits pathétiques. Ainsi, il tire à boulets noirs sur ces professionnels de la politique qui ne reculent devant aucune bassesse pour atteindre le Graal. Il dit aussi que ce n’est pas toujours celui qui mérite le respect qui en reçoit la reconnaissance. Pour services rendus fait un grand écart entre deux guerres et vire petit à petit au noir grâce à la familière et malicieuse habileté de l’auteur. On se prend au jeu du « Tel est pris qui croyait prendre » et on ne peut qu’entrer en empathie avec ce malheureux Fremantle. Avec cet art de l’ironie qu’il manie à merveille Levison en virtuose nous livre l’amère satire d’une Amérique qui n’a pas fini de nous surprendre.
Pour services rendus, Iain Levison, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Fanchita Gonzalez Batlle, éditions Liana Levi, parution : 05/04/2018, 224 pages.