UN HOMME DOIT MOURIR - PASCAL DESSAINT - RIVAGES

Introduction* : «La jolie petite libellule
Ne peut pas s'apprivoiser, Car elle a des ailes majuscules, Faites pour vous échapper. »
Deux voix. Deux personnages aux destins contrariés et croisés. Boris et Alexis apprennent qu’un homme doit mourir. La sentence est tombée. Pourront-ils se résoudre à accepter l’exécution ? Le vieux film de 1963 (avec Kirk Douglas) qui porte ce titre aborde ce thème (majeur) mais dans un tout autre cadre. Pascal Dessaint introduit cette conjoncture pour créer une intrigue brutale qui va réunir en fin de récit les deux protagonistes. Mais son propos est tout autre. Dans les Landes un projet d’enfouissement de matières très sales est à l’étude. Boris est chargé de monter un dossier pour une contre-expertise. Autant dire que cet expert naturaliste traîne des turpitudes alors qu’il est hébergé par un agriculteur écolo et qu’il côtoie un spécialiste des libellules. Celui-ci lui annonce qu’une espèce protégée peut changer la donne. Dans le même secteur Alexis rejoint un ami dans sa superbe villa océane. Chaque élément a été déposé par hélicoptère puis emboité dans cet endroit isolé entre dune et pins. Le propriétaire a une très cordiale relation avec monsieur le maire - ceci explique donc cela. Mais ce dernier fait plus que la moue en découvrant une trouée dans la dune - vue sur les flots, accès rapide à la plage, c’est le top ! La bâtisse règne en toute tranquilité alors qu’une tragédie s’y prépare. Quand l’oncle de Boris survient c’est une autre catastrophe qui s’annonce.
L’auteur a su s’imprégner des senteurs fraîchement résineuses pour les transmettre dans ce roman où
« Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte
Le pin verse son baume et sa sève qui bout,
Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
Comme un soldat blessé qui veut mourir debout. »
Pascal Dessaint et la nature, c’est une longue histoire. D’amour. Une passion qu’il met en lumière dans ce roman où faune et flore ne servent pas de décor - ce serait leur faire offense - mais en sont les véritables acteurs. Le paysage raconte. Dès l’introduction nous tombons sous le charme. Jusqu’à en oublier la noirceur qui, toutefois, va lentement s’étendre sur la canopée. Dès l’annonce du projet des zadistes se sont installés. Zone à défendre avant que d’être défendue. Car la menace rode. Non pas insidieusement puisque la démarche, l’étude sont légaux. Mais qui a déjà rêvé d’avoir une poubelle radioactive ou chimique dans son jardin ? - peut-être le maire pour renflouer les caisses. Ritournelle : c’est toujours mieux chez le voisin… Dès lors, Boris doit-il être voué aux gémonies ? L’auteur ne l’accable pas. En guise de réponse il promène son regard sur le paysage, règle ses jumelles et décrit les nombreuses espèces d’oiseaux, les pins majestueux où nichent les oisillons puis nous laisse deviner le plaisir que l’on peut y trouver. S’il ne hisse pas l’étendard de la révolte, il nous suggère gentiment de prendre le temps de regarder la nature, premier pas vers l’acte citoyen : observer, apprécier, protéger. Et surtout ne jamais baisser les bras. Ce n’est pas le choix d’Alexis qui se l’accapare, la modèle à sa guise avec un cynisme déconcertant. Mais le moment présent n’est-il pas « le calme avant la tempête » ?
Un homme doit mourir est dans la lignée de l’œuvre du romancier. Rien d’étonnant à cela puisque le fil conducteur reste le thème qu’il affectionne, non par marotte mais pour ce geste lucide qui consiste à communiquer/inculquer sans réelle colère mais avec opiniâtreté. Si les personnages qui s’agitent sur ce bout de terroir - dans Le chemin s’arrêtera là c’est une digue - ont des intérêts divers, la portée de leurs combats sera mise à mal quand la nature va reprendre ses droits - l’homme s’est voulu seigneur, il va devoir battre sa coulpe. La cordulie si frêle et si fragile peut-elle lutter contre la puissance d’exister de chaque être humain ? Elle le peut. En fin de roman l’auteur ouvre d’autres portes - il est insatiable - et passe d’une manière radicale du vert au noir. Une fois passé l’effet de surprise alors qu’une soudaine violence s’impose notre perception s’affûte. Ainsi l’être humain ne serait qu’une petite libellule qui se veut faire aussi grosse qu’un fauve affamé ? Mais ce roman n'est pas une fable - ici point de morale.
Ce dernier roman de Pascal Dessaint réaffirme son savoir-faire lorsqu’il s’agit de transmettre tout en inculquant. Il aborde des sujets graves sans jamais être austère, toujours habile il trempe sa plume dans l’acide pour nous conter cette histoire landaise et déploie une intrigue au final tumultueux.
Mention : Sim !!!!
*Penny est mon assistante et amie. Elle intervient en introduction de mes chroniques.
« Un homme doit mourir », Pascal Dessaint, éditions Rivages, parution : 27/11/2017, 240 pages.