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STONE JUNCTION - JIM DODGE - SUPER8

Publié le par Bob

UNE RÉVOLUTION MAGIQUE

Introduction* : « Non mais imaginez un peu la scène. Je chope mon fils en train de batifoler avec sa copine alors qu’il devrait bosser son Master et hop ! il disparaît. »

 

Ce roman n’est pas tout à fait un roman comme les autres. Nous pourrions en rester là et vous remercier de nous avoir compris en vous jetant chez le premier libraire venu. Cependant notre intégrité étant souvent menacée nous nous faisons un devoir d’argumenter sur ce kolossal bouquin qui fait autant vibrer que le marteau-piqueur du type qui défonce votre trottoir - celui où Bobby, votre Chihuahua, fait là où on lui dit de ne pas faire. Ainsi vous aussi allez pouvoir constater les « dégâts » d’une addiction - l’abus de Stone Junction est dangereux pour la santé mais consommer sans modération est obligatoire. Méfiance, l’AMO veille.

 

Le personnage principal se prénomme Daniel, il est jeune et semble programmé pour un seul et unique objectif qu’il découvrira dans le stade ultime de son parcours initiatique. A chaque étape nous découvrons de nouveaux passeurs très typés - la loufoquerie n’est la moindre de leurs qualités -, souvent non-conformistes, toujours anarchistes mais virtuoses dans leur domaine, et à chaque étape c’est avec maestria que l’auteur nous décontenance, nous met la tête dans le foudre et nous enivre jusqu’à plus soif. Début. Nous découvrons Daniel en compagnie de sa mère et éberlués nous encaissons le premier choc - révélé dans la quatrième de couverture mais nous préférons le taire. La mise en situation nous permet d’apprendre que le jeune homme a un parrain nommé le Grand Volta et qu’ils ont été mis au vert par l’Association des Magiciens et Outlaws. Puis ce sont les différentes étapes du rite de passage, un très insolite apprentissage qui déconcerte autant qu’il excite puisque les matières abordées ne s’apparentent surtout pas à une éducation classique. Voilà ce qui attend nos petits-enfants dans le futur proche de Jim Dodge : « En 6ème j’ai appris le perçage de coffres, en 5ème la méditation, en 4ème la pêche, en 3ème la drogue, en 2nde le poker, en 1ère la dissimulation et enfin pour finir en beauté en Terminale l’invisibilité.  Plus fort qu’Harry Potter ! » Alors que le monde réel tente de parer les attaques de l’AMO, celle-ci connaît des querelles intestines - qui a trahi lors de l’intervention de la mère de Daniel ? Celui-ci va s’endurcir car il aura été brinquebalé, déboussolé par ses mentors et va connaître des phases émotionnelles oscillant entre le vertige et l’extase, le doute et l’abandon. Cependant il reste toujours concentré sur sa quête personnelle mais c’est pour le vol d’un phénoménal diamant - pierre philosophale ? - qu’il va devoir mettre en pratique ses nouvelles facultés. Avec ses tourments d’adolescent c’est un être en souffrance et chacune de ses observations, souvent marquées par des expérimentations extrêmes, sera une flèche supplémentaire à son arc. La connaissance impose une rigueur que ses maîtres vont lui apporter mais ils auront un tigre à dompter. La liberté se mérite. Même et surtout pour celui qui pourrait détenir le savoir suprême.

 

ANARCHIE

 

« Mon ami Volta dit qu'il y a une différence de taille. Les hors-la-loi ne font le mal que lorsqu'ils estiment agir pour le bien ; alors que les criminels, eux, ne se sentent bien que lorsqu'ils font le mal. »

 

Ceci étant dit, il nous semble important de préciser que ce roman n’est pas un énième récit flamboyant avec des gnomes sautillants, des mages en toge, des méchants avec des têtes de méchants et autres créatures espiègles que l’on trouve dans la fantasy littéraire. Jim Dodge est bien plus malin car Il est le génie - lutin farceur qui a quelques arguments de taille à développer dans cette histoire qui réunit des personnages souvent loufoques, parfois hallucinés, jamais grotesques et Daniel, une glaise qui va prendre forme humaine pour disparaître à volonté. Cette fiction dystopique ne pactise pas avec le surnaturel mais joue plutôt avec ses codes et est si proche de la réalité que l’on entre les bras ouverts dans ce récit - la prière n’est pas admise mais il faut absolument lire et relire la préface de Thomas Pynchon. Quelles armes peuvent contrer l’ultra-libéralisme ? L’auteur propose une riposte avec - ce qui devait être un groupuscule - une organisation secrète mondiale qui parvient à déstabiliser le Pouvoir. C’est en utilisant leurs pouvoirs que ses membres mettent à mal, avec des actions pas forcément légales mais férocement habiles, cette société - la nôtre - seulement ancrée sur le modèle de la loi absolue du marché, de l’intérêt supérieur des holdings- comprenant aussi les lobbies -, d’une main-mise sur l’être humain encellulé par une minorité. Ces sorciers et hors-la-loi ont pour précepte de sélectionner, intégrer puis éduquer des éléments capables d’apporter un soutien indispensable à leur lutte. Ensuite chacun pourra compter sur l’aide de l’AMO. Leurs actions : déstabiliser, faire du fric ou le voler pour donner aux plus démunis qui s’engageront dans la bataille et déployer l’organisation. Celles-ci ne sont pas sans risque - seule restriction : ne pas porter atteinte à l’intégrité physique, sauf dans les cas de force majeure. Et, contre toute attente, l’objectif capital, quasi inatteignable, est déclenché.

 

ALCHIMIE, COSMOGONIE  

 

Cette pierre - au cœur de laquelle scintille une lueur mystérieuse - que le gouvernement cache secrètement sous le contrôle de l’armée pourrait être la légendaire pierre philosophale. Cette matière alchimique qui, depuis des siècles et des siècles, nourrit les pensées de savants hommes, souvent gnostiques. C’est donc une allégorie de la quête du  Pouvoir absolu que Jim Dodge propose. Mais quelle est cette lueur ? Si l’on se réfère à la cosmogonie nous pouvons remonter à une théorie aristotélicienne qui évoque l’Ylem (substance fondamentale d’où procédait toute matière) ou œuf cosmique. L’auteur va encore plus loin en s’amusant à introduire une interprétation de la création de l’Univers. Ce n’est plus le pouvoir absolu c’est la main de Dieu. Quel histrion cet auteur ! Ce pourrait être une farce mais avec le drame social en toile de fond, avec le meurtre non élucidé, cette quête extravagante ressemble étonnamment à un combat où l’enjeu est la vie ou la mort. Mais on ne joue pas avec le feu (originel ?) sans se brûler.

 

 

Ce roman est tout bonnement un phénomène littéraire car non seulement il active des questionnements universels - notamment sociétaux - mais il utilise une formule proche de l’ésotérisme avec un façonnage déluré. Cette recette, qui évite les clichés et les préceptes éculés, est une riche combinaison qui associe une idéologie révolutionnaire - sur le principe d’une justice fondamentale, mais l’équité est-elle encore possible ? - et une folle et tragique épopée.

 

 

Stone Junction s’offre à ceux qui le souhaitent. Cette diablerie - avec cette énergie qui s’en dégage -  est à la fois compulsive et réjouissante, accessible et déroutante.Y entrer est un bonheur, le vivre un enchantement. Comment l’expliquer ? Notre réponse intime est peut-être dans la Mention ci-dessous. Mais peut-être suffit-il d’un brin d’imaginaire. Celui qui brode les rêves. Celui qui offre à notre existence un semblant de liberté, qui brise les chaînes. Ou suffit-il de remettre en cause ce qui existe, en arasant le réel pour apercevoir une autre réalité - utopique diront certains -, un monde meilleur. Si l’auteur dénonce la situation sociétale, il semble émettre l’idée que la partie est entre nos mains. Stone Junction est un roman philosophique échevelé qui empoigne la politique de la lutte et fait virevolter les acquis. Jim Dodge fait sauter la digue de la soumission et, dans un flot à la fois ludique et clairvoyant, il compose une symphonie entêtante qui va longtemps résonner dans notre giron.

 

Mention : Bob se livre : « Ce que je vais vous raconter est tout à fait véridique. J’avais une vingtaine d’années et j’avais mal aux dents. Mon dentiste avait son cabinet juste en face de mon appartement. Il aimait parler pendant qu’il trifouillait dans mon orifice buccal. Ce qu’il m’a raconté m’a laissé bouche bée. L’un de ses amis avait réussi à transformer l’étain en or ! Il ne m’a jamais posé de dents en or. »  

*Penny est mon assistante et amie. Elle intervient en introduction de mes chroniques.

 

« Stone Junction », Jim Dodge, traduit de l'anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, éditions Super8, parution : octobre 2017, 720 pages.

 

Commenter cet article
L
Très difficile de comprendre les critiques dithyrambiques sur ce roman ô combien ennuyeux...
Répondre
B
C'est ainsi...