EN MÉMOIRE DE FRED - CLAYTON LINDEMUTH - SEUIL

PITBULL SHIT
Introduction* : « Mais ils ont la tronche en biais ou quoi ? Certains y voient Caïn et Abel - pourquoi pas Jacob et Lafon ? - d’autres n’ont pas pigé que les Etats-Unis ce n’est pas que Wall Street et les plages de Floride. Pour sûr il y a des contrées de péquenots - ils ont voté pour l’autre zèbre ! »
Nous étions restés sur une très bonne impression avec Une contrée paisible et froide, le premier roman de l’auteur qui est bien plus qu’un furieux western. De ce fait nous attendions Lindemuth au tournant. Toujours braqué vers le rural noir, c’est avec en ligne de mire ce sacré Fred que nous entrons dans un univers où la sauvagerie prend le pas sur l’atmosphère irrespirable qui se dégageait dans le précédent opus. Si En mémoire de Fred ne renferme pas un silence assourdissant il répercute l’écho tenace d’un secret familial - déjà élément-clé du premier récit. Ainsi l’on constate que notre auteur couche son récit sur une assise qu’il affectionne.
Au coeur du futur conflit se distingue l’ami de Fred. Reclus dans les bois - de Caroline du Nord - Baer fait chauffer son alambic pour le plus grand bonheur des autochtones. Le top de la gnôle ! Ils en sont tellement friands que le boss du terroir souhaite vivement profiter de cette aubaine. Celui-ci organise des combats de chiens - il faut bien trouver des opportunités pour se distraire dans cette contrée paumée ! Mais Fred disparaît et son maître et ami est bouleversé - il n’a qu’un piètre indice pour retrouver le kidnappeur. Ainsi s’engage une joute qui va se transformer en quête pour enfin exploser dans un concert de violence. A ce stade, le roman pourrait tourner en rond dans un cercle de pauvres clébards ensanglantés mais plusieurs personnages entrent en scène et le récit prend une tournure beaucoup plus subtile et intimiste - notamment les non-dits familiaux et l’organisation illicite de combats de chiens. Baer s’apitoie sur le sort de Maé, fille de son frère - avec lequel il est en conflit - et désormais mère des trois rejetons du fils peu recommandable du maire - si peu exemplaire. Ca suit au fond de la classe ? Ajoutons pour corser l’affaire que Baer fut autrefois pris d’amour pour Ruth la mère de Maé.
Ne distinguer dans ce roman qu’une petite tribu d’ivrognes planquée dans un lieu isolé et pariant sur leur chien favori nous paraît très réducteur - lu ici ou là. La bestialité s’y épanche et elle dérange mais elle ne sert qu’à éclairer le lecteur sur les faits et gestes de cul-terreux qui expriment leur violence en faisant mumuse avec des molosses - les combats de chiens sont formellement interdits aux US mais des réseaux existent souvent liés aux trafiquants d’armes et de drogue. C’est dans ce décor sanglant que la véritable histoire se développe, celle d’un pauvre mec qui se terre au milieu de nulle part, qui n’a pour ami que son cher Fred - avec lequel il dialogue. S’il vend chèrement sa peau pour le retrouver c’est aussi et surtout l’attachement qu’il a pour sa nièce, son désir de la protéger, elle et ses enfants, contre le sort qui lui est réservé, qui fait la force du récit. En mémoire de Fred n’est pas une grande fresque de l’amérique profonde car l’auteur a changé de focale et en resserrant le champ l’on discerne des stigmates cachés et… un mystérieux don qui affecte Baer. A cela il faut ajouter que la sauvagerie s’exprime dans une nature sauvage et prégnante qui symbolise l’aspect primitif de cette contrée et le nid matriciel du personnage principal. Talion sera sa loi.
Roman âpre, souvent féroce où l’intime parvient difficilement à s’installer et de fait à sublimer la noirceur, transcender le mal pour nous offrir un texte puissant que l’auteur prend le soin de polir en brossant de superbes portraits. Entêtant jusqu’à la nausée En mémoire de Fred renferme un ramassis de profanes mais recèle cependant - à qui veut la trouver - une frange d’humanité qui laisse entrevoir une (très faible) lueur espoir.
Mention : Réponse à Penny : Ce n’est (pas) un drôle de zèbre !
*Penny est mon assistante et amie. Elle intervient en introduction de mes chroniques.
« En mémoire de Fred », Clayton Lindemuth, éditions Seuil, collection Cadre noir, traduit de l’anglais (États-Unis) par Patrice Carrer, parution : 02/03/2017, 400 pages.