DES ZONES D'OMBRE - LES DOUTES D'AVRAHAM - DROR MISHANI
Introduction* :« Manipulée de bout en bout, je ne boude pas mon plaisir et j'applaudis des deux mains. »
Tel-Aviv. Holon. Avraham est stressé, ça bouge pas mal pour lui tant sur le plan professionnel que privé. Il va devoir assumer sa nouvelle promotion car il est désormais chef de la section homicide et, toc toc toc, la mort frappe à la porte de son bureau avec le meurtre d'une veuve. A cela s'ajoute la venue des parents belges de sa belle qui voit d'un mauvais œil sa récente installation chez Avraham. Au même moment, Maly ne sait que penser de l'attitude de son époux. De jour en jour, ne travaillant plus, il semble se réfugier dans un lourd silence. Viendra bien plus tard le temps des aveux. Mais les doutes de la jeune mère subsistent. Avraham, avec son équipe, patauge dans son enquête. Qui a fait quoi ?
Après avoir fort apprécié le deuxième roman de l'auteur – chronique de La violence en embuscade - et alors que nous n'avions aucun doute sur l'avenir prometteur de sa série avec son personnage principal – qui est en quête de stabilité mais ce n'est pas gagné -, nous voici comblés par cette nouvelle aventure, une tragédie conjugale qui atteint des sommets vertigineux dans une féroce souffrance psychologique.
Ce récit est dominé par un malaise insidieux qui se répand au fil des événements. Le désordre psychologique qui s'empare des personnages majeurs invite le lecteur à sans cesse s'interroger sur les intentions de chacun - l'auteur lui fournissant des pistes - alors que l'enquêteur, vautré dans le doute, s'épuise à tourner en rond. Grâce à ce procédé machiavélique nous avons un temps d'avance sur ce pauvre Avraham – on ne rechignerait pas à le pousser au cul pour bousculer ses certitudes – et nous ressentons désormais une totale empathie pour l'inspecteur. Celui-ci éprouve des difficultés à accepter son statut actuel et s'interroge sur la situation de Marianka, sa fiancée, qui semble peiner à s'intégrer dans ce pays – Israël pour un non juif est-il une destination de rêve ? -, malmenée qu'elle est par des relents de nostalgie. De son enquête l'on apprend que la victime avait été violée quelques mois plus tôt. Ainsi, une piste se dessine enfin. Pour le deuxième couple de ce récit l'équilibre est précaire. Maly, qui a également subi un viol lors d'un week-end professionnel avec des collègues, se raccroche à ses enfants mais le mal subsiste cruellement – pourquoi cette policière a-t-elle laissé planer le doute sur une éventuelle escapade amoureuse, un rapport consenti ? Elle s'inquiète pour son époux juif d'origine australienne qui semble lui cacher quelque chose. Pourquoi a-t-il contacté son père, qui vit toujours en Australie, alors que leurs relations étaient au point mort ?
Mais comment peut-on se laisser manipuler de la sorte ? On a eu beau ruer dans les brancards - parce qu’on a une dignité à défendre, crédieu ! -, on est entré dans la danse, dans ce bal des illusions perdues - ou leurs imminents naufrages. Car, l'auteur a plus d'un tour dans son sac... à malices. Nous assistons à un tour de magie psychologique. Mais l'illusion ne se situe que dans la patte de l'auteur car la douleur et la nostalgie sont bien réelles et vibrent sur les âmes, elles vrillent leur chair. Les doutes d'Avraham est frappé du sceau de l'instabilité, quand un souffle peut faire vaciller un équilibre précaire. Ce troisième opus, parcouru par une tension contenue et continue, nous a définitivement conquis.
Porté par ce bouillonnement émotionnel, nous observons la faible lueur de la lampe tempête.
« Plus tard, lorsqu'elle se retrouverait dans la rue, elle s'imaginerait être avec lui à Bruxelles, marchant sous la neige qu tomberait peut-être, parce que, là-bas, l'hiver n'était pas encore terminé. »
Mention : Un peu d'humour : Holon ? Ô longs désirs, ô espérances vaines !
*Penny est mon assistante et amie. Elle intervient en introduction de mes chroniques.
« Les doutes d'Avraham » Dror Mishani, Editions Seuil, Traduit du hébreu par Laurence Sendrowicz, parution : 3 octobre 2016, 288 pages.