BOYLE TAPE DANS LE MILLE - GRAVESEND - WILLIAM BOYLE
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Introduction* : « Mille ? Mille noms de nom ! »
New York. Brooklyn. Gravesend. Ils sont deux à réintégrer le quartier. Ray Boy Calabrese qui vient de passer seize années en taule et Alessandra qui n'a pas réalisé ses rêves à Los Angeles. Conway attendait ce moment depuis que Duncan, son frère homosexuel, a perdu la vie en tentant de s'échapper des griffes de Ray Boy et sa bande. Il veut le flinguer. Et la vengeance n'attend pas.
Il y aurait mille raisons de lire ce roman. Il y en aurait trente-six mille de ne pas rater le choix judicieux du maître des lieux. Mais il y en a au moins une. Pour ce numéro un peu spécial on pouvait par exemple s'attendre à retrouver le texte inédit d'un auteur renommé mais François Guérif est un explorateur du Noir. Ainsi, c'est avec le premier roman d'un auteur américain que la célèbre collection Rivages/Noir s'inscrit dans la durée en laissant son empreinte avec ce numéro 1000.
Ce quartier où la communauté italienne a élu domicile ainsi que des russes est la pièce maîtresse de ce roman. La famiglia y tient une place importante et la quitter est souvent un déchirement. On constatera un peu plus loin que cette emprise est au cœur du récit. Force est de constater que les traditions populaires n'ont rien perdu de leur essence. Malgré ses graves déboires Ray Boy réintègre le giron familial. Ses potes ne le reconnaissent pas. Il n'est plus le petit voyou qui semait le désordre et ne cherche même pas à panser ses plaies. C'est désormais une loque qui aspire à la pénitence, ses années d'enfermement n'ont pas suffi à expurger sa peine et il n'attend qu'une chose : l'ultime punition. Conway, qui ne se remet de la perte de son frère Duncan, sera son bourreau. Mais tuer n'est pas jouer et la situation va devenir surprenante. Les autres personnages qui gravitent autour de cette dégringolade vers la violence sont tout autant perturbés. Surpris, Eugène, le neveu de Rayboy, va l'être en découvrant que son parangon est devenu un moins que rien. Et, comme un gamin a qui l'on vole son jouet, il va se vexer le vilain. Pas besoin de modèle, l'élève boiteux va devenir le maître. Mais un caïd clopinant. La malheureuse Stephanie se trouve moche, vit chez une mère ultra protectrice, n'a jamais eu d'amoureux et trouve pour seule bouée de survie une Alessandra totalement paumée avec un père anxieux, seulement anxieux. Les pérégrinations de chacun vont se rejoindre et il sera temps de passer à l'action.
Le quartier semble les attirer comme un unique refuge, un nid où la couvée se sent toujours en sécurité. S'ils l'ont quitté c'est pour mieux y revenir et quels qu’en soient les désagréments, les chagrins ou les malheurs y seront moins pénibles. La machine à fabriquer la prospérité ne prend pas les chemins de traverse, elle n'est pas passée par là. Encore un quartier, encore un état de cette grande nation qui ne s'exaspère plus mais qui subit en silence, en spéculant sur les trafics en tout genre, en s'armant de violence, en façonnant le désespoir. Pour l'auteur la violence n'est pas une fin en soi car elle est inévitable. Il dessine des portraits au graphite, déformant des visages hantés par leurs tourments. L'empathie s'empare du lecteur.
Gravesend est un roman noir qui puise profondément dans cette micro société où les étoiles ne brillent pas, ce sont des clins d’œil vicieux qui rappellent à ses habitants que leur destinée ne sera que colère ou lassitude. William Boyle tape dans le mille en signant cette effrayante tragédie moderne pour son premier coup d'essai.
Mention : Merci monsieur Guérif !
*Penny est mon assistante et amie. Elle intervient en introduction de mes chroniques.
« Gravesend »; Numéro 1000 ;Editions Rivages/Noir ; Traduit de l'anglais (États-unis) par Simon Baril ; Date de parution : Mars 2016 ; 352 pages.