UN TRESOR, DES CREVETTES ET DES GALETTES
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Introduction* : « Ce roman déjanté a guidé ma pensée vers cette réplique : Bubba : T'es déjà monté sur un crevettier ?
Forrest Gump : Non mais je suis déjà monté sur plein d'autres arbres. »
2010. Louisiane. Baie de la Barataria. Jeanette. Ils se sont tapés un ouragan et maintenant c'est la marée noire. Les pêcheurs de crevettes grises en ont ras la casquette. Certains lâchent tout et vont bosser pour le pétrolier BP. Les autres tiennent bon mais les filets sont presque vides. Un petit commerce fonctionne pas mal dans le coin. Ce sont les frères Toup qui gèrent ça. Ils planquent leur produit sur l'un des dizaines d'îlots. Deux lascars à la dèche venus de la ville ont une folle envie de s'en emparer.
C'est un roman choral comme je les aime d'autant plus que la quête de chaque personnage semble quasiment désespérée. Le récit est addictif avec cette brochette de phénomènes perturbés bien comme il faut qui s'agitent tant bien que mal dans ce territoire délaissé où l'opulence et la cordialité ont été bannies. Ici c'est le pétrole qui compte - qui n'enrichit pas les autochtones mais celui qu'on sait. Reste la pêche pour ceux qui vivotent, ces taiseux qui habitent dans leurs turnes où ils peuvent y trouver un crocodile dans leurs chambres. Lindquist, le vieux manchot chasseur de trésor - son embarcation porte le nom du pirate qui venait se réfugier dans le secteur : Jean Lafitte - accro à ces cachetons, va en faire l'expérience. Lui qui a trop vadrouillé du côté de la zone interdite de ces deux timbrés, les frères Toup. Avec ces galettes d'hydrocarbure qui flottent gentiment sur leurs eaux Lindquist, le père Trench et son fils Wes ont le moral dans les chaussettes. Et ce n'est pas ce drôle de bienfaiteur qui va leur redonner de la vitalité. En effet, Grimes a été nommé d'office par la compagnie pétrolière pour endormir toute la population avec une offre très alléchante. En d'autres termes, il achète leur silence. Et pour terminer la revue des effectifs, voici le duo de comiques Hanson et Cosgrove qui, après avoir effectué des travaux d'intérêt général, se la ramènent avec des intentions pas catholiques. En attendant ils démazoutent les oiseaux. Et c'est sous un ciel chargé de plomb que les fièvres et les humeurs se répandent, se colportent, que la violence n'attend plus qu'un soupir pour livrer son combat.
L'auteur n'y va pas avec le dos de la cuillère pour cibler le coupable, vite trouvé, – en l’occurrence le groupe BP – qui tente de cacher à la communauté de la baie les réels effets de la marée noire sur leur environnement tout en pratiquant des méthodes peu orthodoxes en leur tendant la main. Mais c'est au fond de l'eau que se trouve la vérité puisque le puits a craché son venin. Il n'est pas tendre non plus avec ce microcosme qui fera preuve de fraternité quand les crevettes auront des ailes. Chacun survit comme il le peut avec peu de projets – hormis le jeune Wes qui construit son bateau. Mais se contenter de peu est une cruelle accoutumance. Qui va se soucier d'eux ? Certainement pas l'Etat, trop loin, trop occupé. Tous les personnages du récit ont leurs failles que l'auteur exploite avec brio pour décrire leurs détresses ou leurs névroses qui se déversent dans une vague de regrets, de divagations ou de pures malfaisances. Si la noirceur est omniprésente nous assistons à des instants d'émotion surprenants et à des situations croquignolesques sans tomber dans la caricature qui doivent tout au maniement de l'ironie vacharde de Cooper. Sur ce dernier point je dois avouer que j'ai largement adhéré.
Ce premier roman noir « Les Maraudeurs » est une belle réussite où se combinent à merveille la représentation d'une communauté à l'abandon où percent la méfiance et le renoncement et de remarquables portraits de personnages par un auteur très prometteur.
Mention : Cours Lindquist, cours.. !
*Penny est mon assistante et amie. Elle intervient en introduction de mes chroniques.
« Les Maraudeurs »; Editions Albin Michel ; Traduit par Pierre Demarty ; Date de parution : mai 2016 ; 416 pages.