DES FAMILLES EN GUERRE
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Introduction* : « Il va falloir qu'il prenne enfin une décision notre bellâtre Alberto. Marina ou Chiara, Chiara ou Marina. Ou une autre.. ? »
Calabre. Plaine de Gioia Tauro. Le récit s'ouvre sur une scène d'émeute. Trois ouvriers agricoles noirs sont tabassés. Plus tard, deux cent kilos de coke se volatilisent alors que le petit juge surveillait l'affaire. Il passe pour un bouffon auprès du procureur, son pire ennemi, et de ses collègues alors que l'on retrouve Spanti, un employé de la Douane, dans un sale état. Son premier réflexe, qu'il a déjà eu précédemment, est de se tourner vers don Mico Rota, l'un des vieux caïds de la région, qui purge sa peine en détention à domicile.
Force est de reconnaître que lorsque l'on a fait un bout de chemin - « La Revanche du petit juge » - avec un auteur et que celui-ci fut d'une compagnie très agréable on a plaisir à lui serrer la poigne en le rencontrant à nouveau. Ainsi, alors que ses pas guident nos pas, on laisse le charme agir et c'est avec entrain et appétit que l'on suit le nouvel épisode de son petit juge. Ce dernier a toujours des problèmes de cœur. Non pas des extrasystoles qui font que les battements s'affolent, non plus de l'athérosclérose qui peut rendre morose car l'alimentation est souvent en cause. Non, sa crise de cœur (ou maladie d'amour) est autre, Marina a quitté son appartement. Alberto Lenzi est (et restera peut-être) un éternel amoureux des femmes qu'il s'acharne à faire fuir. La vanité et l'orgueil – dont il s'affuble - ne font pas bon ménage avec le partage hormis lorsqu'il s'agit de satisfaire sa libido. Monsieur ne conçoit qu'avec un certain malaise d'officialiser sa relation, monsieur est un butineur. Perturbé il l'est et ce n'est pas un atout pour diriger efficacement une enquête puis une autre s'y ajoutant.
Car cette histoire de vol de dope met la pagaille dans les clans mafieux. Le Spanti écorché et pendu comme un goret ça va faire du vilain dans les familles. C'est bien un signe, un doigt pointé. Alberto a des pistes manifestes - mais aucune preuve -, trop évidentes pour qu'elle soient valables puisque la 'Ndrangheta est à coup sûr dans le coup. Et puis voilà que ressort par la magie de l'ADN cette histoire des trois blacks. Don Mico semble en savoir plus. Cela fait un poids de plus sur les épaules du petit juge et ce n'est tout de même pas un âne bâté. Et comme le dit mon proverbe qui convient bien à la situation « Ici, la Justice a ses raisons que la raison ignore ».
Avec son intrigue l'auteur met à profit la présence de la mafia et de ses clans pour faire tourner en bourrique le petit juge car cette frange de la société ne fait pas de cadeaux et si exceptionnellement elle en fait ce n'est que pour en retirer des bénéfices. Souvent est pris qui croyait prendre. Mais on ne tue pas un juge, ça fait partie des codes. Avec « Le Pacte du petit juge » on ne peut échapper à l'attraction de cette 'Ndrangheta. C'est une fascination malsaine. On se régale avec ces confrontations entre Lenzi et Don Mico qui continuent à lui livrer des messages codés – le bureau est peut-être sur écoute. On piaffe de plaisir en suivant les échanges entre les honorables membres du Club, sphère très privée, qui s’écharpent en commentant les fait divers.
Dans ce deuxième opus, l'auteur s'emploie à nous gratifier des répliques savoureuses dont il a le secret. " Un mois à peine après l'arrivée de Lenzi au Parquet, il y avais huit ans de ça, que déjà ils ne pouvaient plus se sentir. Lenzi, aux yeux du procureur, avait davantage d'affinités avec une moule de bouchot qu'avec le genre humain. Et le procureur, aux yeux de Lenzi, se distinguait à peine d'un chimpanzé en captivité, voire ne s'en distinguait pas du tout, et c'est le chimpanzé qui aurait eu des raison de se plaindre d'un tel comportement." On constate que la corruption est toujours au cœur de la société italienne avec cette économie parallèle qui offre à ses détenteurs des pouvoirs considérables. Et que dire de l'exploitation de ces immigrés qui ressemble à s'y méprendre à de l'esclavagisme moderne. « Le Pacte du petit juge » n'est pas seulement un énième roman sur la Mafia calabraise, c'est surtout un récit mené de main de maître par un auteur qui n'a pas fini de nous enthousiasmer.
Mention : Je ne peux cacher mon vif intérêt pour le personnage et j'affirme haut et clair – je joue gros sur le coup - qu'Alberto Lenzi va connaître de nouvelles aventures puisque la fin est on ne peut plus ouverte.
*Penny est mon amie et assistante.
« Le Pacte du petit juge», Seuil Policiers ; Traduit par Christophe Mileschi ; Date de parution 03/03/2016 ; 336 pages
Né à Santa Cristina d'Aspromonte en 1950, Mimmo Gangemi est ingénieur. Il vit à Palmi, dans la province de Reggio de Calabre, et collabore occasionnellement à La Stampa. La critique italienne l'a surnommé « le Sciascia de l'Aspromonte » mais l'a aussi comparé à Andrea Camilleri.