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LA GROUPIE DU PIANISTE

Publié le par Bob

LA GROUPIE DU PIANISTE

Introduction : « Ah Bob, je viens d'écouter Dix doigts dans l'engrenage de Christian Roux sur France Culture. C'est magique ! Ça parle d'une Magalie de Winter et d'un pianiste. » Je n'en croyais pas mes oreilles. « Mais c'est le bouquin que je viens de terminer. Je ne crois pas aux coïncidences mais là... » Non, je ne pouvais imaginer que Penny osât me berner de la sorte. « Ne m'aurais-tu pas emprunté en cachette un livre récemment ? » J'entendis claquer ses talons et un gloussement se répandre dans la cage d'escalier.

Julien est un loser, c'est un raté qui rêvait d'une place de concertiste. Alors, dans sa galère il ne trouve comme substitut que le plaisir du jeu. C'est chez des friqués qu'il va perdre au poker ce qu'il n'a pas et l'emprunter à Kamel qui va ainsi le tenir en laisse. Sortant de taule, il trouve refuge au rez-de-chaussée de l'appartement de Anna et dans le resto de Jean-Marc où il pianote pour couvrir les slurp des clients et le brouhaha de la salle. Comme il est à la dèche, il est ravi quand Magalie de Winter, cette courtoise habituée d'un certain âge, lui refile 20 balles pour jouer « Lili Marleen ». Mais lorsque le dangereux Kamel de la cité, à qui il doit des thunes, lui suggère de la fermer et de grimper sur un yacht de luxe, ça sent le roussi à plein nez. Il va faire la connaissance de Max l’accordeur et à partir de là c'est plus le roussi que ça sent mais une forte odeur de sang répandu.

Un bouquin qui débute en évoquant Goodbye Pork Pie Hat et Portrait of An Ermite ça donne le la. Monky est au piano. Monky c'est le surnom de Julien. Il est le narrateur de ce récit, se déroulant de nos jours, qui va nous transporter dans les années sombres d'une Allemagne mugissante qui, en brandissant la censure, va amorcer son ignoble concept de race aryenne. Ainsi, ce roman est un plaidoyer pour ces compositeurs, interprètes et organisateurs de concerts qui ont subi la répression – par l'exil ou l'internement - mise en œuvre par le IIIe Reich à partir du début des années 1930 (Réf. citée par l'auteur : Entartete Musik : Les voix étouffées du IIIe Reich - Amaury Du Closel). Les lecteurs mélomanes seront aux premières loges. Les autres – dont je fais partie - vont découvrir cette atteinte à la liberté d'expression par le biais de correspondances de ces voix étouffées savamment glissées au cœur du texte. Celles-ci vont alimenter le propos tout en révélant au fil des pages le lien avec les événements présents. Mais je vous entends murmurer. « Oui, alors et le polar là-dedans ? » T'inquiète pas, tu vas avoir ta dose. Les dénommés Carlos et Armand, mains armées de Kamel, vont secouer ferme notre pianiste de bar. L'intrigue est bien présente avec la réapparition surprise de Magalie de Winter, la vieille dame du resto, sur le bateau d'un milliardaire russe où Julien attend un signe pour que se déclenche un événement dont il ne sait rien.

Cette passion pour la musique rythme le récit et le colore de notes bleues ou de violents crescendos. Julien s'en enivre alors que Anna croule sous les bouquins. Une nana qui vend son corps pour se payer de la lecture. Julien ne comprend pas. Ces deux personnages sont aussi ambigus que l'est leur relation. L'auteur aiguillonne le lecteur avec les mystérieux Magali de Winter et Max l'accordeur. On se poile aussi avec les répliques de Jean-Marc, rayonnant homo. Son observation des codes de la classe bourgeoise est acide et sans pitié. On se complaît à observer ces échantillons de petitesse et de parcimonie qui giflent moins qu'ils donnent envie de vomir. Et que dire de l'avidité de ces magnats qui sont prêts à tuer pour régner...

« Adieu Lili Marleen » nous convoque dans les arcanes de la belle musique, dans ce combat pour la liberté de créer avec cette histoire contemporaine qui se termine sur une mélodieuse note d'espoir. L'auteur parvient à composer une authentique harmonie d'une plume leste et élégante de ses neuf doigts sautillants comme sur un clavier de Steinway & Sons 1916.

« Quelles œuvres Beethoven aurait-il composées si, au lieu d'être sourd, il avait été amputé d'un doigt ? »

Mention : A écouter : « Dix doigts dans l'engrenage »

« Adieu Lili Marleen », Éditions Payot et Rivages, Collection Rivages/Thriller, Date de parution le 01 mars 2015, 272 pages

Né en 1963, Christian Roux est écrivain et musicien. Formation de pianiste, lauréat du concours général d’Education Musicale, tour à tour instituteur, berger, employé de librairie, caissier, magasinier, coursier, déménageur de décor, machiniste constructeur, pianiste de bar, peintre en bâtiment… enfin romancier, dramaturge, scénariste, auteur-compositeur-interprète (théâtre, cinéma, rock à texte), lauréat de plusieurs prix (dont Prix de la meilleure musique de scène du Syndicat de la Critique de Théâtre de Musique et de Danse, Prix du 1er Polar SNCF et Prix du meilleur film du Festival de la Rochelle de fiction TV). Derniers livres parus : "L'homme à la bombe", Rivages/Noir (mai 2012), "Justice est faite", Atelier In8 (mars 2013).

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