PETITE MERE
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Je n’ai jamais pu faire décoller ce cerf-volant. Sur les dunes de Carcans (Gironde), alors que la Yougoslavie de Tito venait de perdre un peu plus tôt la finale du Championnat d’Europe de football 1968 contre l’Italie, à cause d’une trop timide brise océanique, mon oiseau marionnette traçait lamentablement des esses sur le sable bouillant à chacune de mes tentatives. Je ne savais pas que, Ô paradoxe, mon volatile était un serpent*…
Pierre est boxeur. Puncheur déchu, en fin de carrière. Toujours amoureux de celle qui est partie. Marqué par le décès de son père et de sa sœur. Pas trop le top niveau de la forme le gars. Alors, tu sais ce que c’est, on se laisse aller, on craque. Il va ainsi se laisser embarquer dans un merdier d’enfer. Par l’intermédiaire de son ami, Sergueï. Lui aussi pas très net. A perdu sa mère et sa fille. Pendant la guerre. En ex-Yougoslavie. Pierre est secoué et va être amené à reluquer dans le rétro. A subir les manigances du présent et les mouscailles du passé.
Dans le XIXe arrondissement de Paris, y’a un p’tit bar. Le Café de la Poste. Y’a Pasqua, Josy, René, Pierre, Sergueï, deux types avec de longs manteaux et les habitués. Pasqua, il a une tête d’hippopotame. C’est le chien des patrons Josy et René. Ils ont accueilli Pierre le boxeur. Il est serveur. Les piliers de comptoir ont toujours des vannes à faire. Brèves. Mais elles font du bien à Pierre. Il a le blues. Il vient de perdre son dernier combat. Ca cogite fort dans son crâne abimé. Sergueï le taxi, son ami, son grand frère, vingt ans de plus, toujours yougoslave, évoque avec Pierre son éventuelle reconversion. Salle de boxe, dans le XXe. Emile, le coach, le père d’adoption met Pierre KO debout. Et s’il envisageait d’arrêter la boxe. Ah, ça fleure bon le cuir tanné, l’amitié, le p’tit blanc du matin, le il est cinq heure Paris s’éveille. Georget chatouille là où ça gratouille avec ce regard bordé de nostalgie qui te cligne de l’œil jusqu’à ce que la larme s’épanche sur la joue lasse meurtrie, rougie par les coups, jusqu’à ce qu’un cerne se creuse en fossette, prémisse d’une colère sourde. Oui mais, le ton va se durcir. Pierre va mettre un pied puis les deux dans un imbroglio qui va le dépasser, dont il va être la victime. Il va payer les pots cassés. Philippe Georget ne va jamais emmêler les fils qui guident son récit vers une très sombre histoire qui a secoué les Balkans. Et c’est cette valse (à mille temps) de faux-semblants, de faux-fuyants qui vont être réglés tambour battant par l’auteur dans le vacarme des armes automatiques serbes et bosno-croates et celui du ring. Une violence aveugle et une autre aveuglante. Le sang, toujours le sang. Et puis tu vas chantonner parfois avec Pierre du Leny Escudero, du Hubert-Félix Thiéfaine. Plainte mélancolique qui sourd dans sa gorge. Tu peux chialer, t’as le droit. Georget est un affectif, un sensitif pas douillet. Il va te faire aimer le pays catalan en quelques phrases alors que Pierre retourne à la source. Il va te jeter des brassées de fleurs qu’une dame laisse crever sur sa table de chevet. Pour le plus grand désespoir de Pierre. Et puis vient le clou du spectacle. Grandeur nature. Du 3D ! Une scène ultra visuelle. Qui va te filer les jetons. Avec les mirettes qui ne savent où... mater. Car la mire est ajustée. La cible de papier. Sergueï. Putain, Sergueï.
J’ai assisté à des combats de boxe au Cirque d’hiver de Paris. Le choc des coups a longtemps résonné dans mes esgourdes. C’est ce que tu vas appréhender avec bonheur. Les quatre boules de cuir. « Boxe, boxe ! » Mais les 1,2... et 10 sacrifient le pugiliste, signent parfois son arrêt de mort.
Tu l’auras compris, ce roman m’a saisi par le colbac, comme on se sent aspiré par le remords. « Emoi émoi et moi. » Bien sûr les esprits retors pourraient y trouver trop de clichés, de personnages improbables mais ce qui fait la force de ce Paradoxe du cerf-volant se trouve ailleurs. Dans ce bouquet de fleurs.
*Cerf-volant : Origine sèrp-volanta (occitan) ou serpent-volant (dragon en Asie).
Note : 3,5/5
Mention : « Fais pas chier avec ton cerf-volant. J’ai le moral dans les chaussettes. Je vais te fredonner ce petit truc de Leny : Dis-moi, Petite mère, Où est-il le chemin, Pour aller à naguère.» Merci Pierre.
Illustration originale de CEDRIC
Titre : « Le paradoxe du cerf-volant » JIGAL Poche ; Parution : Mai 2014 ; 416 pages
Philippe GEORGET est né en 1963 quelques jours après la mort de Kennedy, mais ne cherchez pas, il a un bon alibi ! Il a 20 ans quand il découvre la solidarité en participant à la construction d’une école au Nicaragua. De retour en France, il reprend des études qui le conduiront à une licence d’histoire puis une maîtrise de journalisme en 1988. Il travaille d’abord pour Radio France et Le Guide du Routard avant de se lancer dans la télévision régionale du côté d’Orléans. Il y travaille comme journaliste rédacteur, cameraman et présentateur. En 2001, il embarque femme et enfants dans son camping-car et fait le tour de la Méditerranée de Marseille à Marseille en passant par l’Italie, la Grèce, la Turquie, la Syrie, la Jordanie, la Libye et la Tunisie…. À son retour, il pose ses valises dans les environs de Perpignan. Et c’est là, en pays catalan, qu’il situe la plupart des intrigues de ses romans. Une terre qu’il apprécie tout particulièrement et dont il arpente en courant — et probablement pour se défouler entre deux chapitres de son prochain roman — les sentiers sauvages. Il compte d’ailleurs trois marathons à son actif sans compter celui dont il a un jour raté le départ, ayant malencontreusement pris celui de la course d’à côté ! Un écrivain marathonien… ceci explique sans doute cela !