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EVE LEVE-TOI

Publié le par Bob

EVE LEVE-TOI

Tu vas poser tes fesses sur les putains de galets de cette plage avec ce Jonquet - alors que les dames d'un certain âge qui t'entourent savourent le dernier Pancol tout en croquant dans un beignet dégoulinant de chocolat - et, par l'opération du Saint-Esprit, tu ne te relèveras que lorsque tu l'auras refermé. Tu es prévenu, avertis la maisonnée, tu vas louper l'apéro... Un peu plus de 180 pages suffiront à te convaincre que, déjà en 1984, un auteur concoctait une terrifiante histoire et que “Ils lui ont tout piqué. Je te dis qu'ils ont pompé sur Jonquet.

La trame est plutôt alambiqué. Trois personnages, trois récits, trois enfermements avec en prime le passé se mêlant au présent. Vincent est kidnappé par un ravisseur qui a de vilaines manies ; Alex, son pote, se planque après avoir braqué une banque ; Eve est assignée dans sa chambre par le docteur Lafargue qui ne la sort que pour la prostituer. Une quatrième victime, Viviane, est, elle aussi, en isolement mais je te dis pas tout sinon tu vas me maudire. Le titre va te filer (avec jeu de mots) une piste, c'est sûr...

La bio de l'auteur (ci-dessous) précise que Almodóvar a adapté le roman. Je ne l'ai pas vu donc je passe. Et puis je m'en tape un peu, tu vois. Parce que j'ai enfin abordé mon premier Jonquet et j'en garde quelques stigmates : troubles nerveux puis prostation. Je t'assure que les épaisses couches de pommade antiprurigineuse et antihistaminique à la cortisone sont inefficaces. Car Mygale est bien sûr au cœur de cette mélasse poisseuse, Mygale est le genre de gars qui met un point d'honneur à piéger, à faire une mignonne pelote avec de la matière bien vivante, à te la remodeler à sa façon. Et c'est un expert - aux dernières nouvelles, il ferait toujours dans la chirurgie esthétique. Puis-je me permettre de m’inventer un ami officiant à la chaire de Vivisection Frankesteinienne Expérimentale qui commença par ces mots lors de sa leçon inaugurale “Jonquet dans son inoubliable roman Mygale a construit son histoire sur la Symbolique Prométhéenne... blablabla.” Assurément, tu l'auras pigé, on n'est pas dans un registre youpla boum tagada tsoin tsoin - si tu vois ce que je veux dire. Les personnages pataugent dans le glauque. Créature mutilée, asservie. Démence. Terreur. Claustration. L'auteur les plie, les malaxe, les tire-bouchonne pour en faire les sujets, avec complément d'horreur, d'un vulgaire bourreau. Percer le mystère de cette construction diabolique et surtout subir les assauts de cette noirceur guidée par la folle vengeance est une sacrée expérience. Jonquet a injecté son venin. Qui va insidieusement circuler dans tes veines. Avec ses papattes velues, il va te mener à la lisière de l'insupportable en attisant ton penchant voyeur. Tu distingueras la sauvage aliénation de cet être sadique qui viole tous les codes en détruisant par haine et donc... par amour.

Jonquet a palpé là où ça fait (très) mal en abordant le thème de la vengeance. Il va beaucoup plus loin que le principe de loi du talion en offrant au fol docteur Lafargue un pouvoir démiurgique. Roman (très) noir, Mygale ne se soustrait pas à son accent horrifique. Nulle description d’organes charcutés... ou si peu (t’as pas d’bol mon ami !). Avec son écriture réaliste qui va te permettre de suivre les personnages dans leur (pas si) drôle de quotidien, l’auteur accentue la tension en mêlant les pensées de Vincent, le martyr. Il parvient également à réunir tous les protagonistes par un ingénieux tour de main pour une issue en apothéose : “- Viens... il ne faut pas laisser le cadavre ici.”

Des silences qui en disent long. Un mutisme qui dissimule le vacarme des sens. Lafargue et Eve. Lafargue et Vincent. Lafargue et Viviane. Alex et... Alex. Ce sont ces face à face qui font la grandeur de cette oeuvre. Que tu te dois expressément de découvrir. Et plus vite que ça... Et même si je n’ai pas été assez clair...

Note : 4/5

Mention : Très troublé.

Titre : « Mygale » Gallimard ; Parution 1984 ; Série Noire ; 183 pages

Thierry JONQUET, né le 19 janvier 1954 à Paris, Thierry Jonquet a une enfance marquée par le cinéma et les livres. Il étudie la philosophie à l'université de Créteil et plus tard l'ergothérapie. Il mène de front pendant longtemps deux activités distinctes : celle de scénariste et celle de romancier. Il écrit de nombreux romans pour la jeunesse et les adultes (publiés notamment dans la collection Folio). Ces derniers sont souvent des romans noirs, habités de faits divers et de satire politique et sociale. Thierry Jonquet s'éteint le 9 août 2009, à Paris, en laissant derrière lui une œuvre conséquente et récompensée de plusieurs prix (notamment le Trophée 813 du meilleur roman à trois reprises). Son roman «Mygale» est adapté en 2011 au cinéma par le réalisateur espagnol Pedro Almodóvar, sous le titre « La piel que habito ».

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