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LES MAUVAISES - SÉVERINE CHEVALIER - LA MANUFACTURE DE LIVRES

Publié le par Bob

LE TEMPS SUSPENDU

Introduction* : « Séverine c’est cette dame blonde qui écrit si bien. Je ne passerai plus sur un viaduc sans penser à elle, à sa Roberto. Eh, dis donc Bob ! Car Robert c’est ton vrai prénom et Robert Polar ça le faisait pas trop. Tu m’as dit que tes vieux potes t’appellent Roberto. Ca doit te faire tout drôle. »

 

Nous n’avons pas encore trouvé le temps pour lire Recluses mais Clouer l’Ouest fut un véritable bonheur de lecture. Ce n’était pas un simple coup de cœur - de ceux qui battent sur les étals en toutes saisons - mais plutôt ce que la littérature pas blanche ne nous offre que trop rarement et que l’on abritera dans les Belles-lettres noires. Séverine Chevalier, avec ce nouveau roman, confirme toute la finesse volcanique de son talent d’écrivaine. Dans ce récit il n’y a pas d’éruption. Seul le bouillonnement  silencieux des mots agit alors que quelques secousses se font ressentir puis qu’apparaissent quelques « flammèches aux formes de Sylphide » (Marc Laberge). Le génie aérien de l’auteure prend possession des êtres de ce terroir égaré qui vibre dans cet été suffocant où tout n’est que recommencement - avec ces non-dits fermes et punitifs gravés dans le granit et cette nature érigée comme un modèle immuable d'équilibre et d'harmonie. Roberto, Oé et Ouafa descendent souvent au pied du viaduc, en parcourant la forêt ils jouent à se faire peur, pour exister. Ces trois-là - deux ados et un gamin - ne font qu’un. C’est ainsi que l’on survit lorsque les rideaux s’entrouvrent sur votre passage laissant apparaître un demi visage inquisiteur. Micheline (ou Roberto) est trop belle, Ouafa est trop étrangère et Oé trop bizarre. Alors que l’usine est en phase d’extension et que la forêt va se déplumer, un corps inerte se balance, exposé aux intempéries, aux vilains regards. C’est un suicide. Puis le corps disparaît de la chambre funéraire. Roberto n’est plus morte, elle s’est éclipsée.

 

On connaît la rengaine. Ces autochtones - le mot prend ici tout son sens - restent des autochtones avec ce que cela suggère. Les rumeurs, tintamarre muet, déshabillent de son linceul la défunte. Pas de paix à son âme. Le vagabond est-il coupable ? Elle l’a bien cherché à se trémousser comme la dévergondée qu’elle était ! Roberto a abandonné Ouafa et Oé. Démembrés, ils ont tout perdu.  

 

Séverine Chevalier n’est pas une conteuse, elle chuchote des minutes qui s’égrènent, des pulsations qui battent les tempes dans un silence si lourd et si fragile. Son compte à rebours est déclenché, une vie, des vies en suspension, une corde qui se tend. Et on est à la recherche de Roberto, on est à la recherche du temps. Perdu d’avance. Ici la terre a grondé alors que les vieux volcans se reposent et veillent. La nature explose de beauté, puis meurt et renaît. La mort d’une feuille, la mort de Roberto, la flamboyante. Elle a quitté sa branche, elle a quitté Ouafa, Oé. Va-t-elle se réincarner en feuille ? Les Mauvaises est cette image d’une feuille qui tombe. Délicate. Qui virevolte puis gît. C’est le roman d’un lent effondrement qui mène au sommet d’un viaduc - passerelle entre la vie et la mort. Séverine Chevalier effeuille les mots avec une justesse rare. Imperceptiblement, elle provoque des remous telluriques qui ébranlent les corps et de cette perception naît un trouble chronique. Peu d’auteur-e-s atteignent cette sensibilité qui fait d’elle une grande écrivaine. Lisez ce roman (et les autres) !  

 

Mention : J’aurai pu en tirer des lignes et des lignes tant ce roman est beau. J’ai écrit la chronique comme on jette des dés. C’est peut-être un peu confus, le hasard des mots.

*Penny est mon assistante et amie. Elle intervient en introduction de mes chroniques.

Les Mauvaises, Séverine Chevalier, éditions La Manufacture de Livres, parution : 08-02-2018, 192 pages.

 

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