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GLAISE - FRANCK BOUYSSE - LA MANUFACTURE DE LIVRE

Publié le par Bob

ET LA FIGURINE PRIT VIE

Introduction* : « Des taiseux ? Non mais vous êtes déjà  allés sur un foirail ? Là où les maquignons vendent leurs bêtes. Ils ne sont pas taiseux les maquignons quand ils négocient les prix, je peux vous le dire. Et ils le sont encore moins quand ils vont, la poche pleine de billets, s’en jeter une ou deux au troquet du coin.  »

 

Si ses personnages s’emprisonnent dans le silence des étendues sauvages, Franck Bouysse lui sillonne la France pour aller à la rencontre de ses lecteurs. C’est la dure réalité d’un auteur à succès. Mais l’on imagine que durant ses trêves il se réfugie au cœur d’un hameau où il déniche des histoires d’hommes et de femmes égarés qu’un destin semble guider vers le néant. Il doit aussi y observer la nature, humer le vent, arrêter son pas et guetter de gracieux concerts de stridulation, identifier des pousses végétales puis décrotter ses chaussures de marche de la glaise qui s’y est fixée. De cette terre argileuse qu’un jeune homme va façonner dans ce roman que l’auteur, en sculpteur de mots, place au cœur du drame. De cette marne où s’embourbaient, s’enfouissaient les miséreuses troupes de la « Grande Guerre ». Après Grossir le ciel qui a reçu de nombreux prix littéraires dont le prix Calibre47 remis lors du salon Polar’Encontre qui fut le premier à confirmer son talent, après Plateau où nous avons été chiffonnés par son style emphatique et une intrigue discordantes, nous retrouvons ses personnages de prédilection (des fermiers) dans un cadre coutumier (la campagne profonde) avec Glaise. 

 

 Août 1914, ce n’est pas la canicule qui contrarie les familles de cette contrée. Dans les fermes du Cantal comme ailleurs c’est le mot « guerre » qui donne des sueurs… froides. Dans le hameau Joseph, du haut de ses quinze ans, sera l’homme de la maison. Dans l’une des fermes voisines l’ambiance est plutôt écrasante avec ce Valette, le chef de famille fort en gueule, qui s’envoie des lampées de goutte pour oublier son handicap et avec son épouse qui attend le retour du « petit ». Dans l’autre vit le vieux Léonard, avec sa femme, qui se rendra toujours disponible pour aider Joseph dans ses labeurs - un père de substitution. Lorsque débarquent sa belle-sœur avec sa fille Anna Valette va étancher sa bile sur ces pauvres malheureuses qui découvrent la rudesse du  monde rural et viennent trouver refuge. Cette rage va se renforcer alors que Joseph ressent pour la première fois un trouble inconnu : l’affection, que Anna est prête à lui offrir.  

 

Pourquoi Glaise se situe-t-il au-delà de l’horizon familier de notre auteur ?

 

Comme dans les deux précédents romans la nature est austère, la mélancolie récurrente, les femmes malmenées, les secrets enfouis, les existences âpres, la solitude une fausse amie, les haines ravivées. On s’autorise une parenthèse pour préciser que tous les termes pour désigner la cambrousse ont été utilisés - dictionnaire des synonymes pillé - dans les commentaires, critiques et chroniques mais après « rural » c’est « taiseux » qui a battu tous les records. Nous pourrions ainsi rebaptiser le genre : « Taiseux noir ». Dans ce roman Franck Bouysse diffuse l’écho lointain - pourtant si prégnant - et lancinant de la guerre. Le vent charrie la mort jusque dans les foyers. L’apport inédit de ce cadre temporel est un accès au monde, une ouverture percée dans l’insularité de ce terroir - de plus nous pouvons retenir l’intrusion de ces femmes, étrangères à la communauté. Il conditionne le récit car les personnages ont un lien avec l’ailleurs par cette porte sombre et leur comportement en est affecté. C’est l’un des atouts de Glaise car non seulement le fond mais aussi la forme s’empare avec justesse de cette contrainte. Ainsi le style semble démenotté - plus libre - et atteint une harmonie qui est la qualité des textes puissants, influents. L’autre qualité de ce roman se situe dans le parcours initiatique du jeune Joseph. Un personnage enfiévré par son nouveau statut et surtout grâce à la présence quasi miraculeuse de la jolie et tendre Anna. Cette romance plane au-dessus d’un nid de drames - on retiendra le supplice de la mère de la jeune fille - mais elle finit par être mise à mal. Puis la guerre frappe à la porte…

 

Avec Glaise Franck Bouysse emploie son talent pour en extraire la quintessence. Cet instantané d’une période de notre Histoire où naît une tragédie humaine est auréolé de cendres noires. Alors qu’au loin le canon tonne, chaque être de ce hameau perçoit les coups de semonce d’une catastrophe annoncée. Mais au cœur de ce drame l’auteur nous offre une magnifique allégorie que l’on observe avec émerveillement : Joseph sculptant la glaise -  symbole d’une délivrance. Et la figurine prit vie entre les mains d’Anna.

 

Mention : Miracle : l’enfant Jésus aurait sculpté une figurine qui prit vie et s’envola. 

*Penny est mon assistante et amie. Elle intervient en introduction de mes chroniques.

 

« Glaise », Franck Bouysse, éditions La Manufacture de Livre, parution : 7 septembre 2017, 425 pages.

 

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